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* The Project Gutenberg EBook of Madame Bovary, by Gustave Flaubert
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* Title: Madame Bovary
* Author: Gustave Flaubert
* Release Date: November 26, 2004 [EBook #14155]
* [Last updated: November 28, 2011]
* Language: French
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* *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MADAME BOVARY ***
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* Gustave Flaubert
* MADAME BOVARY
* (1857)
*
* @see http://www.gutenberg.org/cache/epub/14155/pg14155.txt
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PREMIÈRE PARTIE
I
Nous étions à l'Étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un
nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait
un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se
leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir; puis, se tournant
vers le maître d'études:
-- Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je
vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa
conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l'appelle
son âge.
Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait
à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine
d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il
avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de
village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût
pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons
noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la
fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses
jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré
par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés,
garnis de clous.
On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses
oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les
cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la
cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir, pour
qu'il se mît avec nous dans les rangs.
Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos
casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres;
il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de
façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de
poussière; c'était là le genre.
Mais, soit qu'il n'eût pas remarqué cette manoeuvre ou qu'il n'eut
osé s'y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait
encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces
coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du
bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de
loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin,
dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le
visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle
commençait par trois boudins circulaires; puis s'alternaient,
séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils
de lapin; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un
polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée,
et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit
croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve; la
visière brillait.
-- Levez-vous, dit le professeur.
Il se leva; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.
Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup
de coude, il la ramassa encore une fois.
-- Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui
était un homme d'esprit.
Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre
garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à
la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se
rassit et la posa sur ses genoux.
-- Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.
Le nouveau articula, d'une voix bredouillante, un nom
inintelligible.
-- Répétez!
Le même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par
les huées de la classe.
-- Plus haut! cria le maître, plus haut!
Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une
bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler
quelqu'un, ce mot: Charbovari.
Ce fut un vacarme qui s'élança d'un bond, monta en crescendo, avec
des éclats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trépignait,
on répétait: Charbovari! Charbovari!), puis qui roula en notes
isolées, se calmant à grand-peine, et parfois qui reprenait tout à
coup sur la ligne d'un banc où saillissait encore çà et là, comme
un pétard mal éteint, quelque rire étouffé.
Cependant, sous la pluie des pensums, l'ordre peu à peu se
rétablit dans la classe, et le professeur, parvenu à saisir le nom
de Charles Bovary, se l'étant fait dicter, épeler et relire,
commanda tout de suite au pauvre diable d'aller s'asseoir sur le
banc de paresse, au pied de la chaire. Il se mit en mouvement,
mais, avant de partir, hésita.
-- Que cherchez-vous? demanda le professeur.
-- Ma cas... fit timidement le nouveau, promenant autour de lui
des regards inquiets.
-- Cinq cents vers à toute la classe! exclamé d'une voix furieuse,
arrêta, comme le _Quos ego_, une bourrasque nouvelle. -- Restez
donc tranquilles! continuait le professeur indigné, et s'essuyant
le front avec son mouchoir qu'il venait de prendre dans sa toque:
Quant à vous, le nouveau, vous me copierez vingt fois le verbe
_ridiculus sum_.
Puis, d'une voix plus douce:
-- Eh! vous la retrouverez, votre casquette; on ne vous l'a pas
volée!
Tout reprit son calme. Les têtes se courbèrent sur les cartons, et
le nouveau resta pendant deux heures dans une tenue exemplaire,
quoiqu'il y eût bien, de temps à autre, quelque boulette de papier
lancée d'un bec de plume qui vînt s'éclabousser sur sa figure.
Mais il s'essuyait avec la main, et demeurait immobile, les yeux
baissés.
Le soir, à l'Étude, il tira ses bouts de manches de son pupitre,
mit en ordre ses petites affaires, régla soigneusement son papier.
Nous le vîmes qui travaillait en conscience, cherchant tous les
mots dans le dictionnaire et se donnant beaucoup de mal. Grâce,
sans doute, à cette bonne volonté dont il fit preuve, il dut de ne
pas descendre dans la classe inférieure; car, s'il savait
passablement ses règles, il n'avait guère d'élégance dans les
tournures. C'était le curé de son village qui lui avait commencé
le latin, ses parents, par économie, ne l'ayant envoyé au collège
que le plus tard possible.
Son père, M. Charles-Denis-Bartholomé Bovary, ancien aide-
chirurgien-major, compromis, vers 1812, dans des affaires de
conscription, et forcé, vers cette époque, de quitter le service,
avait alors profité de ses avantages personnels pour saisir au
passage une dot de soixante mille francs, qui s'offrait en la
fille d'un marchand bonnetier, devenue amoureuse de sa tournure.
Bel homme, hâbleur, faisant sonner haut ses éperons, portant des
favoris rejoints aux moustaches, les doigts toujours garnis de
bagues et habillé de couleurs voyantes, il avait l'aspect d'un
brave, avec l'entrain facile d'un commis voyageur. Une fois marié,
il vécut deux ou trois ans sur la fortune de sa femme, dînant
bien, se levant tard, fumant dans de grandes pipes en porcelaine,
ne rentrant le soir qu'après le spectacle et fréquentant les
cafés. Le beau-père mourut et laissa peu de chose; il en fut
indigné, se lança dans la fabrique, y perdit quel